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Enfin des découvertes

Publié le 24-01-2017

Jeudi 19 janvier

La base logistique, la base logistique, la base logistique... Elle est évidemment au centre de nos préoccupations. Malgré le cœur à l'ouvrage de nos artisans, qui n'abandonnent leurs outils qu'à 21 heures passées, après leur journée de travail sous une pluie qui n'a guère cessé depuis notre arrivée, les progrès ne sont pas à la hauteur de notre impatience! Aujourd'hui, toutefois, les fondations sont terminées. C'est une étape importante : on peut enfin poser le plancher, où l'on marchera sans crainte, où l'on posera une échelle sans devoir galérer pour la caler, etc... Sur cette plateforme indispensable, les cadres en bois formant la structure des murs vont pouvoir commencer à se mettre en place et tout va s'accélérer.

Structure de la base logistique

Les six qui sont installés au camp avancé, dit « camp Sumidero », rendent compte de leur mission lors d'une vacation radio. Ils ont formé deux petites équipes de trois qui ont exploré et topographié chacune une cavité : la perte n°1, que nous avions repérée en 2008 lors d'un raid depuis la base minière de Guarello, et la perte n°2. Toutes deux s'arrêtent sur un siphon, l'une à la profondeur de – 50 m (devenu Ojo de la Madre), l'autre à -120 (Ombligo de la Madre). Sous terre, il faut suivre l'eau et ses dangers, mais comme la crue est déjà bien établie, on ne risque pas d'être surpris par une montée brutale des débits. Ce risque serait finalement plus grand après un jour sans pluie ; toutefois les zones drainées par les rivières qui se perdent sous terres étant peu étendues, une crue éventuelle se résorberait sans doute assez vite. Dans le doute, la règle intangible reste d'agir avec une très grande prudence.

Camp avancé

Le camp Sumidero est composé de deux tentes trois places et d'une bâche de protection tendue entre deux arbres, qui crée un espace de vie protégé de la pluie. Il a été monté sur un bombé au fond d'une dépression. Bon choix : Il est protégé du vent par des arbres, sans être dans le marécage qui se crée dans chaque creux de terrain. L'herbe alentour est restée verte malgré les piétinements, ce qui est loin d'être le cas au camp de base! Sur celui-ci, vu les précipitations constantes, Bernard réquisitionne une partie de la tente russe destiné à l'équipe cinéma : le poêle de la future cabane y est mis en marche. Bientôt la voici transformée en un gigantesque séchoir surchargé de vêtements dégoulinants, dont on espère qu'ils seront moins glacés demain matin lorsqu'il faudra les réenfiler.

Entrée de perte

Franck et Carlos ont reconnu le fond du seno en plongée. Il y a relativement peu de faune, des étoiles de mer orange ou bleues, quelques poissons circulant entre les larges feuilles des laminaires qui ondulent entre deux eaux. La profondeur augmente lentement jusqu'à trente mètres, au débouché du seno dans le Barros Luco. Là, un vide noir traduit un brutal approfondissement.

Vendredi 20 janvier

Les cinéastes sont surexcités : c'est aujourd'hui que leurs quarante-deux valises de matériel vont enfin arriver par le don Arturo affrété tout spécialement. Ce navire nous apporte également un équipement de toute première importance : la fameuse antenne satellite Explorer GX5075 mise à la disposition d'Ultima Patagonia 2017 par l'opérateur Marlink, partenaire privilégié de l'expédition.

Antenne satellite Explorer GX5075

Le bateau s'amarre à midi, et la noria de la tyrolienne se met en branle. Marcelo et Francisco ont organisé ce voyage et sont venus en personne, subissant les désagréments de quatre jours de navigation pour s'assurer que la mission se déroule correctement. Ils partagent une courte demi-journée avec nous et rembarquent. Aussitôt déballée et alimentée, l'antenne optimise automatiquement l'acquisition du signal émis par le satellite. Heureusement, elle est étanche! Impavide sous la pluie, elle ajuste son orientation dans deux plans perpendiculaires, avec des pas de plus en plus petits, puis s'immobilise une fois verrouillée sur le satellite. Laurent s'occupe des connections en aval, s'affaire à trouver les bons câbles, à relier l'onduleur, le routeur, le téléphone dédié, l'ordinateur... Après quelques tâtonnements inévitables, après des pertes brutales de liaison et les sueurs froides qui vont avec, tout finit par fonctionner parfaitement malgré l'environnement particulièrement difficile pour un équipement de haute technologie. Le robinet à informations se met d'un coup à couler à plein! Du fin fond de notre île perdue, nous voici connectés au monde. On apprend que la France grelotte sous la neige pendant que nous-mêmes dégoulinons sous la pluie.

Antenne satellite Explorer GX5075

Cet après-midi deux équipes de reconnaissance sont parties en Bombard. L'une traverse le Barros Luco vers la Grande Barrière. Elle trouve une petite anse abritée de la houle, d'où l'on peut tracer un cheminement commode vers les hauteurs de ce massif calcaire imposant. Blanc et nu, il s'étire sur plus de quinze kilomètres de long, bordant le fjord côté sud jusqu'à son débouché sur le Pacifique. En face, sur la rive nord du Barros, une autre équipe cherche un accès au karst qui le domine, et qui culmine au Cerro Vertical (650 m). En passant par le camp

Sumidero, son accès serait beaucoup trop long. Le sésame est trouvé en gravissant le flanc d'un vaste cirque qui échancre la rive, après la traversée d'un bout de forêt magellanique aux troncs surchargés de mousse. Comme sur la Grande Barrière, il faudra installer sur ce vaste lapiaz le camp avancé indispensable à son exploration.

Lapiaz

En longeant la côte en Bombard, l'équipe découvre une grosse exsurgence sous-marine. L'eau douce arrive avec tant de puissance qu'elle forme un bombement, une sorte de champignon s'élevant au-dessus du niveau de la mer. Il s'agit d'une ancienne sortie d'eau aérienne, qui a été noyée par la transgression marine consécutive à fin de la dernière période glacière, il y a douze mille ans. Franck s'y voit déjà en plongée... On rentre au camp, cette fois avec la houle dans le dos. Une otarie et deux dauphins pointent le nez. Depuis les îlots déchiquetés,

notre passage fait s'envoler un pétrel, des cormorans. Quelques manchots plongent, tandis que les albatros, majestueux, glissent au ras des vagues avec une incroyable facilité.

Au camp Sumidero, la grande dépression imperméable située au nord des tentes est explorée. Nous savons que s'y ouvre la seule cavité déjà connue du nord de Madre de Dios. Il s'agit de l'Utero de la Madre, exploré en 2007 par Roger Rovira et Cristian Donoso lors d'un raid en kayak de 2000 km en Patagonie, un exploit! Aussi, lorsque l'équipe trouve une vaste entrée (20 m x 20 m) proche du camp et où l'eau s'engouffre, Vincent, José et Stéphane s'imaginent être dans l'Utero et n'insistent pas. Ils trouvent une seconde perte qu'ils reconnaissent aisément, sans même s'équiper en spéléo. Tout à coup, surprise : voici un cairn et un gant! C'est donc ça, l'Utero! Ils vont jusqu'au fond sans matériel, à 700 mètres de l'entrée et -150 environ. Au-dessus du siphon terminal, deux petits conduits qu'il faudrait atteindre par escalade permettraient peut-être de le contourner et de trouver une suite, mais il faudra revenir en étant correctement équipés.

Entrée de cavité

Pendant ce temps, les trois autres membres de l'équipe, Arnauld, Joël et Cédric, sont dans une autre perte qu'ils baptisent Lágrimas de la Madre. Ils y progressent jusqu'à la cote -120 et s'arrêtent à 230 m de l'entrée, faute de matériel, dans une galerie fossile méandriforme, au sommet d'un ressaut de trois mètres d'où monte le bruit de la rivière. Décidément, toute cette zone est riche de promesses!

Le temps se calme en soirée. Une boutonnière bleue s'ouvre entre les nuages, du jamais vu depuis notre arrivée. Et ceux qui vont sortir le nez de leur tente cette nuit certifieront qu'ils ont vu des étoiles...

Samedi 21 janvier

Bien sûr, la pluie est revenue! Dans la tente réfectoire, une table est squattée par l'informatique. On s'entasse à l'heure des repas ; gérer l'espace est devenu mission impossible. Maintenant que nous sommes connectés, nous contactons par Skype le CCMM (Centre de consultation médicale maritime) qui suit l'expédition, et nous testons la valise Parsys de diagnostic médical. Bernard achète tranquillement d'ici des minutes de téléphonie Skype avec la carte bancaire de Centre Terre! On a vraiment changé d'époque... Comme le précise le slogan Marlink : « Connect smarter. Anywhere »...

Les deux équipes parties poursuivre les reconnaissances d'hier depuis le camp de base ont été aujourd'hui repoussées par la houle qui s'est creusée. A quelque chose malheur est bon : un des deux C5 Bombard relâche dans une anse où une grotte est découverte. Une galerie de cent mètres conduit à un siphon. Plusieurs regards sur la nappe d'eau s'y ouvrent : c'est sans doute le débouché d'un des collecteurs du secteur. Les plongeurs ne vont pas manquer d'objectifs.

Entrée de perte

A 19 h 30 arrive à la base l'équipe du camp Sumidero, toute auréolée de ses découvertes. Elle découvre les progrès du chantier de la base logistique : la sous-toiture est posée, on est « presque » hors d'eau et les aménagements intérieurs sont commencés. Un embryon de tableau électrique, vissé au mur, attend son câblage. Mieux : un magnifique bac récepteur nous laisse enfin entrevoir la possibilité d'une douche chaude pour demain... un pari pris par Cecilia et Bernard depuis déjà trois jours, mais auquel personne ou presque ne croyait.

Dans les rudes conditions que les éléments nous imposent, les exigences de confort souvent extravagantes auxquelles l'être humain s'est habitué finissent par se réduire, jusqu'à revenir aux vraies nécessités... Est-ce une révision bienvenue de nos prétendus « besoins », l'amorce d'un chemin vers plus de frugalité ? Ici, la Nature est reine. Nous sommes dans son domaine, à sa merci. Voilà qui nous rappelle, de façon salutaire, la fragilité de notre condition.

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